Mlle G. âgée de 22ans, agressée sexuellement par deux inconnus lors d’un braquage au domicile familial, et reçue un mois après l’incident, raconte : « j’étais restée seule à la maison, ils sont arrivés avec des armes, m’ont menacée et m’ont violée tous les trois …, après ils ont pris des choses de la maison et ils sont partis. J’étais dans la mauvaise période du cycle. On m’a emmenée à la clinique et on m’a donné des antibiotiques. Mais je n’ai pas vu mes règles depuis lors je m’inquiète et je ne dors plus, peut être qu’ils avaient aussi le Sida… ».
Ce récit d’agression sexuelle qui prédit une catastrophe future pour la victime, a été enregistré dans les services de prise en charge des victimes de violences sexuelles de Brazzaville. Il constitue l’illustration parfaite de l’absence d’information de la population sur les protocoles administrés afin de prévenir certaines conséquences irréversibles des viols.
Que signifie ce délai de 72 heures post-viol?
C’est l’espace-temps compris entre le moment où a lieu une agression sexuelle et la fin du troisième jour suivant, c’est-à-dire 72 heures après l’agression.
Cet intervalle temporel est vital pour la victime car c’est à ce moment que l’on peut prévenir la survenue d’une grossesse non désirée, le risque d’une contamination aux IST/VIH et des complications de lésions traumatiques graves, de même que des troubles psychologiques post traumatiques.
Toutes ces interventions médicales et psychologiques doivent se faire dans un centre de santé disposant des médicaments nécessaires à cette prévention et par des agents formés à cette chimio prophylaxie préventive ; d’où la nécessité de systématiquement conduire les victimes d’agression sexuelle (viol) dans ce délai de 72 heures dans un centre de santé pour maximiser les effets desdits produits.
En quoi consiste la prise en charge des victimes dans les 72 heures ?
La prise en charge des victimes dans les 72 heures suivant les violences sexuelles consiste en la mise en application d’un protocole spécial consistant en l’administration de :
- prophylaxie post exposition ou PPE qui consiste en une combinaison de deux à trois produits anti-VIH qu’une personne séronégative qui aurait pu être exposée au VIH prend pour réduire ses risques d’infection par le VIH. La PPE doit être prise aussitôt que possible, dans les 72 heures suivant l’exposition au VIH. Ces produits délivrés sur ordonnance doivent se prendre tous les jours, en suivant à la lettre les directives du médecin, pendant quatre semaines complètes.
- une antibiothérapie prophylactique ou ATB à large spectre
- une contraception d’urgence ou CU qui permet d’éviter les grossesses non désirées issues d’un viol
Parfois, en cas de présence de lésions traumatiques telles que les plaies, les fractures ou des lésions graves intra génitales, la prise en charge médicale ne se limite pas à l’administration de produits médicamenteux mais peut aller jusqu’à la chirurgie.
Il faut en outre rappeler que la prise en charge médicale, même si elle est prioritaire, doit toujours se faire dans une approche globale qui intègre également l’accompagnement psychologique visant à prévenir la survenue d’un stress post traumatique.
Et que risque-t-on si l’on n’agit pas dans les 72 heures ?
Sans aucun traitement médical, les victimes risquent de développer dans les jours qui suivent des infections sexuellement transmissibles telles que la gonorrhée, la chlamydiose, les trichomonoses… pouvant entrainer des complications comme la salpingite, des maladies pelviennes chroniques voire même la stérilité.
Surtout, le risque d’avoir été exposé au VIH-Sida ne doit pas être négligé et si le traitement ARV n’est pas pris dans les délais pour limiter les risques, la contamination devient irréversible et on se retrouve infecté à vie.
Par ailleurs, la contraception d’urgence permettant d’éviter d’être enceinte suite à un viol, notamment pour les mineures ou en cas d’inceste, ne pas y avoir recours à temps expose à des risques de grossesses non désirées et souvent précoces. Ces grossesses résultant de viols représentent non seulement une souffrance morale pour les victimes et pour les enfants issus du viol, mais peuvent conduire les victimes à recourir à des avortements clandestins avec tous les risques liés (infections, décès…). N’oublions pas par ailleurs qu’en cas d’infection par le VIH, l’enfant issu du viol aura de grandes chances d’être lui aussi séropositif.
Enfin, moins dramatiques à première vue, les plaies, blessures et autres lésions traumatiques non traitées peuvent entrainer des complications aboutissant à un choc septique ou hémorragique et entrainer la mort de la victime.
Quelle est la situation actuelle au Congo pour les victimes, les praticiens, et les structures de prise en charge?
D’après le rapport de l’étude sur la prise en charge des victimes de Violences Basées sur le Genre (VBG) dans les formations sanitaires du Congo (étude réalisée pour l’UNFPA Congo en Mars 2015), sur 1381 victimes de VBG enregistrées durant deux ans dans six départements, seulement 36 % des victimes de violences sexuelles ont été auscultées par un agent de santé dans le respect du délai de 72 heures. Ce chiffre confirme la tendance, observée dans la population, à cacher les faits de violence et privilégier les règlements à l’amiable au détriment de la santé physique et psychologique de la victime.
Plus grave, on a constaté que les agents de santé non informés ni formés à la prise en charge des victimes de violences sexuelles dans les 72 heures, se retrouvent fréquemment désarmés face à des cas qui sont finalement gérés comme des patients classiques dont on ne traite que les plaies apparentes. De nombreuses victimes sont ainsi renvoyées chez elle alors même qu’elles se sont présentées dans les 72 heures, avec le risque de développer toutes les complications énumérées précédemment.
A Brazzaville, six centres de santé sont formés et équipés pour prendre en charge une victime d’agression sexuelle dans le respect du protocole d’urgence post violence sexuelle. Trois hôpitaux de base (Bacongo Makélékélé et Talangai) et le CHU de Brazzaville ont une unité de prise en charge des violences sexuelles, de même que les deux centres de santé (CSI Marien Ngouabi, Madibou) ayant bénéficié de l’appui en intrants et en médicaments de la part de l’UNFPA en décembre 2014.
En dehors de Brazzaville, plusieurs praticiens ont révélé leur impuissance face à ces cas dont la prise en charge nécessite beaucoup d’intrants et des locaux adaptés qu’ils n’ont pas. Certains ont avoué n’avoir aucune connaissance sur cette notion de 72 heures, tandis que d’autres ont déploré le manque d’information de la population sur les conséquences des violences sexuelles et sur la prise en charge médicale et psychologique nécessaire.
Il apparait clairement qu’il est urgent de vulgariser l’information sur cet intervalle de temps précieux auprès de la population, par des sensibilisations de masse ou des émissions radiotélévisée, en insistant sur les conséquences évitables tel que le VIH, les grossesses non désirées et d’autres IST.
Quant aux structures et personnels de santé, un accent doit être mis sur la connaissance du protocole post viol dans les 72 heures, sur la nécessité d’une prise en charge globale incluant l’aspect psychologique, sur l’approvisionnement permanent en intrants post viol, et sur le système de référence notamment vers les services adéquats pour le suivi judiciaire (police ou gendarmerie) et social.
Enfin, pour que le système de référence fonctionne, les services de police et de gendarmerie mais globalement toute la communauté, doivent être informés sur le délai de 72 heures post viol ; afin que les survivant(e)s de violences sexuelles puissent être correctement orientés et accompagnés à travers le cycle de réponse plurielle (médical, psychologique, judiciaire et social).